S’il y a une chose qui ne se dément pas quant aux tests ADN, c’est bien leur popularité. Il y est fait appel pour des domaines de plus en plus divers : une scène de crime à exploiter ? On analyse les empreintes ADN ; une ministre cherche à prouver la paternité de son enfant ? On recourt au test de paternité ; des corps non-identifiables à l’œil nu après un crash d’avion ? On établit des profils ADN à partir des restes ; une inconnue prétend être la dernière descendante des tsars de Russie ? On vérifie à l’aide d’un test de lignée mâle ou femelle ; un doute sur l’infidélité de son conjoint ? On peut désormais envoyer des échantillons suspects au laboratoire pour analyse ;  Envie de savoir quelles prédispositions ou maladies cachent ses gènes ? On peut pour quelques centaines d’euros établir un profil génétique complet ; besoin de prouver que l’on est plusieurs enfants illégitimes d’un ancien roi d’Espagne refusant de se soumettre à un test ? On procède à un test ADN de fraternité.

Le recours aux tests ADN s’est tellement démocratisé que le législateur français a fini par se saisir de la question pour réglementer le domaine. La législation civile française étant par essence très frileuse à l’utilisation mercantile du corps humain et de ses produits (Code civil, art. 16-1). C’est d’abord le Comité Consultatif National d’Éthique qui donnera le ton en 1989 déclarant qu’ « en matière civile et familiale, l’indisponibilité de l’identité civile et de la filiation, […] la sécurité du lien parental dans l’intérêt primordial de l’enfant, l’équilibre et la paix des familles, justifient que la preuve biologique ne puisse être rapportée que sous le contrôle du juge, dans le cadre d’une action en justice relative à la filiation et juridiquement recevable ». L’introduction d’une loi du 29 juillet 1994 relative au respect du corps humain viendra confirmer cette tendance. Elle engendrera les articles 16-1 et suivants du Code civil, et 226-25 et suivants du Code pénal, qui constituent la législation actuelle en matière de recours aux tests ADN.

Les dispositions françaises mettent d’emblée un frein à toute potentielle fantaisie génétique, puisqu’elles interdisent l’emploi de test ADN en dehors de procédures judiciaires, de recherches médicale ou scientifique, ou pour l’identification d’un corps. En 2011, ce sont ainsi pas loin de 3500 litiges pour lesquels le juge d’un TGI a demandé que soit effectué un test de paternité. On constate que ces actions sont souvent accompagnées de requêtes aux allures plus financières, ce qui laisse penser qu’elles sont loin d’être désintéressées. Le directeur de l’Institut Génétique Nantes Atlantique (IGNA) confie ainsi que la plupart des 600 demandes de test de paternité qu’il reçoit dans le cadre de procédures légales s’apparente parallèlement à l’obtention d’argent. Si les causes dénuées d’intérêt financier n’en ressortent que plus nobles, celles ayant des prétentions pécuniaires semblent ne tenir qu’au filtre du juge. C’est ce dernier qui accepte les requêtes ou les refuse selon le bien fondé des dossiers, leur mauvaise foi apparente ou leur manque de justificatifs.

Peut-on parler d’excès de prudence face à l’excès de dérégulation généralisé en la matière, ou de conservatisme d’une France arrêtée aux principes d’un Code civil dont la trame de fond est restée la même depuis 1804 ? Toujours est-il qu’il n’est plus possible pour un résident français de savoir à quel point son ADN est compatible avec celui de Georges Clooney, ou s’il a des réminiscences de gènes mongoles dans un arbre généalogique supposé totalement breton. Outre la confiscation du paquet par les douanes, le risque encouru s’élève à 15 000€ d’amende et 1 an de prison. Si rien n’empêche de recevoir ces tests à une adresse étrangère, la pratique privée du test ADN reste interdite en France. La peine encourue n’empêche pourtant pas un nombre grandissant de français d’avoir recours à ces tests, dans des proportions peut-être plus grandes que ce qu’on en imagine. Malgré leur illégalité, l’aspect pratique en reste certain.

Les chiffres nous viennent en effet de laboratoires étrangers, qui ne sont que des estimations basées sur les demandes qu’eux seuls reçoivent et non pas une appréciation de l’ampleur de ce marché. Nombreux sont les français qui souhaitent s’assurer de la fidélité de leur conjoint, veulent connaître leurs prédispositions génétiques ou refusent de reconnaître un enfant de paternité douteuse. Certains avancent une masse de 20 000 demandes, d’autres 40 000, mais tous précisant qu’ils sont certainement en dessous de la réalité. Joëlle Apter, la managing director du groupe suisse Gentest, reconnaît que la clientèle française représente 70 % du chiffre d’affaires du groupe. C’est pourquoi à l’instar de la Suisse où la législation est plus laxiste en matière de test ADN, des filières spécialisées s’organisent dans les pays où les textes permettent d’effectuer de tels tests. L’entreprise espagnole DNA Solutions revendique ainsi 60 % de sa clientèle comme française, étant rappelé que ce commerce est illégal en France. Dès lors, quid de tous ces prestataires de tests ADN qui ont une ligne téléphonique française, dont le site est en français, qui s’adaptent au marché français, mais dont les installations se situent toutes à l’étranger ?

La question se pose d’autant plus au regard de la guerre des prix menée par les principaux acteurs du marché. Si certains prestataires préfèrent jouer la qualité, les accréditations, les normes internationales, et prennent un ton rassurant face à un public encore sociétalement peu acclimaté, d’autres n’hésitent pas à entrer dans une logique de low cost. DNA Solutions reconnaît ainsi sous-traiter ses échantillons à des laboratoires au Panama et en Australie, ce qui lui permet d’être 3 à 4 fois moins cher que la concurrence. Par conséquent, il arrive que la procédure y soit moins stricte et la qualité du travail moins poussée. Le risque s’accroît de tomber sur des résultats difficilement compréhensibles, de recevoir des analyses faussées par une mauvaise conservation des échantillons, voire pire, de recevoir des résultats faussés. C’est ce risque de travail génétique à la chaîne qui fait réagir certains professionnels du domaine, réclamant l’instauration d’une obligation généralisée de respect de normes internationales en la matière.